La fatigue de l’athlète, phénomène complexe ?
L’article ci-dessous est un périmètre précieux d’information grâce à différentes études sourcées.
J’ai choisi de mettre en avant un article entier de la chaire ActiFS (Activité Physique Fatigue et Santé) qui a pour but de développer des connaissances dans le domaine du « sport-santé » grâce aux savoir-faire de plusieurs chercheurs de l’Université de Saint-Etienne.
Et plus précisément celui du Pr Guillaume Millet.
Bonne Lecture.

Introduction : Généralités
Avez-vous noté que le même mot – fatigue – est utilisé dans la langue française pour parler de phénomènes aussi différents que la fatigue aiguë du sportif figure (A ci-dessous) et celle chronique (figure B) d’une personne atteinte d’un cancer ? Alors que bien évidemment, de nombreuses différences existent entre ces deux situations. On ne parle pas de la même chose, les causes de la fatigue sont différentes dans les deux cas et, surtout, les athlètes choisissent la fatigue alors que les patients la subissent.

Figure A : De quels facteurs dépendent la fatigue du sportif ?

Figure B : Différentes raisons pour laquelle une personne peut se sentir fatiguée au quotidien. L’exemple est celui d’une personne qui en rémission d’un cancer.
En réalité tout est compliqué dans la fatigue et de nombreuses questions se posent dès que l’on prend 5 minutes pour y réfléchir.
– Quel est le rapport entre fatigue objective mesurable scientifiquement et fatigue perçue ?
– Quel est ce sentiment que l’on ne fonctionne pas de façon optimale ?
– Quel est le lien entre fatigue et douleur ? Ou entre fatigue et dépression ?
Ces quelques questions montrent à quel point la fatigue est un phénomène complexe. Même si on se limite à la fatigue de l’athlète, le sujet est vaste. Alors si on s’intéresse à la fatigue chronique, c’est pire. Mais ça ne veut pas dire qu’il faut renoncer à mieux la comprendre pour mieux la combattre.
SPORT - ENTRAÎNEMENT - PERFORMANCE
Pourquoi disions-nous en introduction de la rubrique GÉNÉRALITÉS que la fatigue était un phénomène complexe ? Il suffit d’observer le schéma ci-dessous qui présente les causes possibles de la fatigue de l’athlète pour s’en convaincre.

Il y a d’abord les causes dites périphériques, c’est-à- dire localisées dans le muscle, et ce à plusieurs niveaux. Les raisons les plus souvent avancées (acide lactique et manque de substrats énergétiques) peuvent jouer un rôle mais en réalité, leur rôle reste relativement modeste. D’autres substances chimiques sont bien plus néfastes au fonctionnement du muscle.
Mais la fatigue, ce n’est pas seulement dans les muscles ! Et cela est bien moins connu.
Que se passe-t-il dans le cerveau lors d’un exercice fatiguant ?
Tout d’abord il peut y avoir l’apparition progressive de fatigue dite centrale. En résumé, même en donnant le maximum, on n’est plus capable de recruter l’ensemble des fibres musculaires. Cela peut se mesurer en stimulant le muscle ou directement le cerveau, alors que l’athlète essaye de produire la plus grande force possible : on s’aperçoit alors que la force augmente, preuve en est que le muscle est capable de faire davantage, mais que la limite se situe dans le système nerveux. Bizarrement, cette fatigue centrale est majeure après un ultra-marathon… et après un effort maximum de 2 minutes sans pause. Même si les raisons qui expliquent cette fatigue centrale peuvent être très différentes, la cause est à chercher : soit dans le cerveau, soit dans la moelle épinière, soit en lien avec des fibres sensitives dont les capteurs sont dans les muscles, les tendons, les articulations.
Lorsque l’on se fatigue, on note aussi une hausse de la perception de l’effort pour une tâche physique donnée. Prenez l’exemple de l’exercice de la chaise contre un mur. Vous n’êtes pas plus lourd au bout de 2 minutes qu’au début. Et pourtant c’est plus difficile, pourquoi ? Deux mécanismes sont impliqués :
Feed-back : les fibres sensitives, dont nous parlions plus haut, envoient des informations douloureuses au cerveau en réponse aux modifications chimiques et mécaniques qui surviennent à l’effort dans les muscles.
Feed-forward : lorsque les muscles se fatiguent ou que les motoneurones de la moelle épinière deviennent moins excitables, le cortex moteur doit augmenter la quantité de signal qu’il envoie en direction de la périphérie si l’on souhaite maintenir la même intensité d’effort (e.g. maintenir la même vitesse de course). Or, une copie de ce signal est envoyée au cortex sensitif et l’exercice paraît plus difficile.
Puisque cette sensation de pénibilité ne peut pas augmenter indéfiniment, on décide soit de réduire l’allure à un niveau qui nous semble supportable (quand c’est possible, cas d’un marathon par exemple), soit on abandonne l’affaire (cas de la chaise contre le mur). Dans tous les cas, c’est bien le cerveau qui a le dernier mot, les muscles ne sont pas limitants. En réalité, la perception de l’effort est plus compliquée que cela. D’autres facteurs peuvent l’influencer et c’est pour cette raison qu’a été créé le Flush model. Par exemple, lorsque l’on réalise une tâche mentale fatigante ou que l’on est en manque de sommeil, on part avec un certain niveau d’eau dans la cuve. Le flush model présente aussi l’intérêt de bien mettre en évidence ce que l’on appelle la réserve de sécurité et qui explique pourquoi, contrairement aux chevaux, l’être humain ne meurt pas d’épuisement. Tout cela est bien expliqué .
En réalité, la perception de l’effort est plus compliquée que cela. D’autres facteurs peuvent l’influencer et c’est pour cette raison qu’a été créé le Flush model. Par exemple, lorsque l’on réalise une tâche mentale fatigante ou que l’on est en manque de sommeil, on part avec un certain niveau d’eau dans la cuve. Le flush model présente aussi l’intérêt de bien mettre en évidence ce que l’on appelle la réserve de sécurité et qui explique pourquoi, contrairement aux chevaux, l’être humain ne meurt pas d’épuisement. Tout cela est bien expliqué .
Peut-on modéliser simplement la sensation de fatigue ? La réponse est oui. Guillaume Millet, physiologiste et spécialiste de l’ultra-endurance, l’a fait à partir d’une chasse d’eau.
Découvrez son Flush model

GUILLAUME MILLET 05/05/2022
Pour discuter des freins qui nous limitent lors d’un effort extrême comme un ultra-trail, je me suis amusé à créer un petit modèle qui s’inspire du fonctionnement… d’une chasse d’eau (Millet, Sports Med 2011). Si vous pensez que cela ne fait pas assez scientifique, vous pouvez utiliser la traduction anglaise : ‘the flush model’. Ça sonne mieux mais ça signifie exactement la même chose !
Contrairement aux animaux, on ne voit jamais d’êtres humains mourir d’épuisement dans des conditions environnementales neutres. On peut donc en conclure qu’il existe une réserve de sécurité qui nous impose de nous arrêter ou du moins de ralentir l’allure quand les compteurs sont dans le rouge. Ça vous rappelle peut-être la théorie du ‘Gouverneur central’ popularisée par le chercheur sud-africain Tim Noakes. En clair, notre cerveau nous dicterait les limites de l’effort même si nous éprouvons sur le moment l’impression qu’il s’agit de limites musculaires ou cardiaques. Imaginons un ultra-traileur complètement cuit dans la montée de Champex à l’UTMB®. Il se traîne sur le chemin, apparemment incapable d’élever le rythme. Tout à coup un ours affamé sort d’un buisson [1]. Que va-t-il se passer ? A tous les coups, notre ultra-traileur à l’agonie trouvera l’énergie de rejoindre la station Suisse en foulées bondissantes… Un lecteur sourcilleux pourrait m’objecter qu’il n’y a pas d’ours dans le Valais. Dans ce cas, inspirons-nous du roman ‘Marche ou Crève’ de Stephen King. Pour ceux qui ne l’auraient pas lu, ce roman raconte l’histoire terrible d’une marche forcée où les retardataires sont systématiquement abattus d’une balle dans la tête. Il suffit de descendre trois fois sous la moyenne de 6,5 km/h. Et pan ! Imaginons à présent qu’on fasse comprendre à notre traileur qu’à l’instar de ces pauvres marcheurs, il sera exécuté lui aussi s’il n’arrive pas à rejoindre la station sans descendre sous les 12 km/h. On peut prendre le pari qu’il retrouvera des forces tout à coup. Pensez-vous qu’Aron Ralsto [2] se serait sectionné l’avant-bras pour une médaille ou un gros paquet de dollars ? Non, nous disposons de ressources insoupçonnées que l’on peut mobiliser quand la survie est en jeu. Et bien figurez-vous qu’Aron Ralston est la seule personne invitée à la Leadville 100 miles de toute l’histoire de la course. Dans son roman, Stephen King écrit : « certains de ces garçons vont continuer à marcher longtemps après que les lois de la physique et de la chimie auront déclaré forfait. Ce n’est pas une question de force physique. Si c’était ça, nous aurions tous une bonne chance. Mais il y a des hommes faibles capables de soulever des voitures si leur femme est clouée dessous. La tête, le cerveau… Ce n’est pas l’homme ou Dieu, c’est quelque chose… dans le cerveau ». A ma connaissance, Stephen King n’est ni physiologiste, ni le copain de Tim Noakes. Pourtant, on peut difficilement exprimer mieux la suprématie du cerveau sur tous les autres organes dès lors qu’il s’agit de pousser son corps jusque dans ses plus extrêmes retranchements. En résumé, notre encéphale fixe les frontières de l’effort avec le double souci d’abord de rester en vie et ensuite de ne pas trop souffrir.
Mais voyons un peu le fonctionnement de ce flush model. Comme toute chasse d’eau digne de ce nom, celle-ci peut se remplir (2, c’est ce qui se passe quand on se fatigue) et se vider grâce à l’ouverture de ce que les plombiers appellent une valve de vidange (4, quand on se repose, et encore plus quand on dort, mais pas seulement).. Si le flotteur (1) joue bien son rôle, le remplissage de la cuve (l’arrêt de l’effort) se fait donc avant de mettre en danger l’organisme (le débordement). Il existe donc une réserve de sécurité (3) que nous évoquions au début de cet encadré. J’espère que tout le monde suit. Que se passe-t-il lorsque l’on se met à courir ? La chasse d’eau qui était plus ou moins vide se remplit lentement et le flotteur monte dans la cuve car la fatigue musculaire augmente au fil du temps. Donc pour maintenir la même vitesse de déplacement, on doit sans cesse recruter de nouvelles fibres musculaires. Celles-ci se fatiguent à leur tour et l’on se retrouve vite embringué dans une spirale inflationniste. Ce phénomène dit du ‘feed-forward’ implique une élévation importante de la quantité d’influx nerveux en partance du cerveau vers le muscle. Or c’est précisément ce paramètre qui détermine la sensation de pénibilité de l’effort [3]. En résumé, plus on produit d’influx, plus on a l’impression de souffrir.
En plus du ‘feed forward’, il existe un autre système d’alerte appelé ‘feed-back’ qui fait remonter l’information du muscle vers le cerveau. Elle nait dans des fibres nerveuses (dites de type III et IV) sensibles aux modifications biochimiques du muscle en fonction des différents types de fatigue. En ultra-trail, leur mise en action se fait par exemple en réponse à la présence de substances inflammatoires. Ces informations dites afférentes (de la périphérie vers le central) augmentent aussi la pénibilité de l’effort (le niveau d’eau dans la cuve). Et les fibres musculaires ne sont pas seules en cause. Prenons l’exemple d’un ultra-trail. Où a-t-on mal à la fin de son épreuve ? Partout ! Les tendons, les articulations, les ampoules, la nausée, etc. Toutes ces réponses désagréables ou douloureuses ne donnent pas envie de continuer. A leur manière, elles font augmenter le niveau d’eau. Enfin, il faut compter avec toutes sortes de composantes affectives. Alors bien sûr, il est possible d’accepter, à titre temporaire, un inconfort supérieur quand bien même on serait complètement cuit. C’est ce que l’on désigne souvent sous l’expression ‘sprint final’. Ceci montre bien que ce n’est pas, a minima pour les disciplines d’endurance, la capacité du muscle à maintenir l’effort donné qui guide la décision de s’arrêter ou de ralentir l’allure mais bel et bien notre volonté de continuer et d’accepter de se faire davantage mal à l’effort.
[1] Camille Herron : « je suis le genre de personne capable de faire abstraction de la douleur et de la fatigue, et de me pousser à une expérience proche de la mort., Je me suis parfois imaginé être un animal poursuivant une proie ou une proie poursuivie par d’autres animaux ».
[2] En 2003, cet américain est resté coincé au fond d’un canyon isolé pendant 6 jours lors d’une randonnée dans les gorges de l’Utah, il s’est lui-même amputé l’avant-bras droit avec son couteau pour se dégager dans le but de survivre. Son histoire est racontée autobiographie ‘Plus fort qu’un roc’ adaptée au cinéma (127 heures).
[3] Cela est dû à des mécanismes de duplication (copie efférente) de ces influx en direction du cortex sensitif. Ainsi lorsqu’on bloque la transmission de l’influx nerveux par du curare, la perception de l’effort est très largement augmentée car plus de fibres doivent être recrutées pour assurer la production de force requise.